En général, les électrons se déplacent librement dans les métaux, se dispersant de manière aléatoire lorsqu’ils rencontrent des obstacles, à la manière de boules de billard. Cependant, dans certains matériaux exotiques, les électrons peuvent se déplacer de manière unidirectionnelle le long des bords du matériau, sans friction, même en présence d’obstacles. Ce phénomène, connu sous le nom d’« état de bord », permet aux électrons de circuler sans résistance le long des limites du matériau, contrairement aux supraconducteurs où tous les électrons circulent sans résistance à travers le matériau entier.
Des physiciens du MIT ont récemment observé directement ces états de bord dans un nuage d’atomes ultrafroids. Pour la première fois, ils ont capturé des images d’atomes se déplaçant sans résistance le long d’une frontière, même en présence d’obstacles. Les résultats, publiés dans Nature Physics, pourraient aider à manipuler les électrons pour qu’ils circulent sans friction dans des matériaux, ouvrant la voie à une transmission ultra-efficace et sans perte d’énergie et de données.
« Nous pourrions imaginer fabriquer de petits morceaux d’un matériau approprié et les utiliser dans des appareils futurs, permettant aux électrons de circuler le long des bords sans aucune perte », explique Richard Fletcher, co-auteur de l’étude et professeur adjoint de physique au MIT. « Cependant, pour nous, la beauté réside dans la possibilité de voir de nos propres yeux une physique absolument incroyable, généralement cachée dans les matériaux et impossible à observer directement. »
Les co-auteurs de l’étude comprennent les étudiants diplômés Ruixiao Yao et Sungjae Chi, les anciens étudiants diplômés Biswaroop Mukherjee PhD ’20 et Airlia Shaffer PhD ’23, ainsi que Martin Zwierlein, professeur de physique Thomas A. Frank. Tous sont membres du laboratoire de recherche en électronique du MIT et du MIT-Harvard Center for Ultracold Atoms.
Exploration des états de bord
Les physiciens ont d’abord proposé l’idée des états de bord pour expliquer l’effet Hall quantique, observé pour la première fois en 1980 dans des matériaux en couches à deux dimensions, soumis à des conditions ultra-froides et à un champ magnétique. Lorsqu’un courant était appliqué, les électrons ne circulaient pas directement à travers le matériau mais s’accumulaient sur un côté en portions quantiques précises.
Pour expliquer ce phénomène, les physiciens ont suggéré que les courants de Hall étaient véhiculés par des états de bord, où les électrons déviés par le champ magnétique circulaient et s’accumulaient le long des bords du matériau. « La façon dont la charge circule sous un champ magnétique suggère l’existence de modes de bord », explique Fletcher. « Mais les observer directement est difficile car ces états se produisent sur des échelles de temps et de distance extrêmement petites. »
Au lieu de tenter d’observer les électrons dans un état de bord, Fletcher et ses collègues ont recréé la même physique dans un système plus grand et plus observable, en étudiant le comportement des atomes ultrafroids dans une configuration imitant la physique des électrons sous un champ magnétique.
« Dans notre configuration, la même physique se produit dans les atomes, mais sur des échelles de temps et de distance plus grandes, ce qui nous permet de prendre des images et d’observer les atomes se déplacer le long des limites du système », explique Zwierlein.
Un monde en rotation
Dans leur étude, l’équipe a travaillé avec un nuage d’environ un million d’atomes de sodium, rassemblés dans un piège contrôlé par laser et refroidis à des températures de l’ordre du nanokelvin. Ils ont ensuite manipulé le piège pour faire tourner les atomes, créant une force centrifuge équilibrée par le piège, simulant un espace plat en rotation pour les atomes.
Dans cette réalité fabriquée, les chercheurs ont introduit un « bord » sous la forme d’un anneau de lumière laser, formant une paroi circulaire autour des atomes en rotation. En prenant des images du système, ils ont observé que les atomes circulaient le long des bords de l’anneau dans une seule direction, sans friction.
« C’est comme des billes tournant rapidement dans un bol, continuant de tourner autour du bord sans friction », explique Zwierlein. « Il n’y a pas de ralentissement ni de dispersion des atomes, juste un flux cohérent et magnifique. »
Ce flux sans friction a persisté même lorsque les chercheurs ont placé un obstacle, sous la forme d’un point lumineux, le long du bord de l’anneau laser. Les atomes ont continué de circuler sans ralentir ni se disperser, contournant l’obstacle sans friction.
« Nous avons intentionnellement introduit un obstacle répulsif, mais les atomes ont trouvé leur chemin autour de lui et ont continué leur flux », explique Fletcher.
Les observations de l’équipe montrent que leur configuration atomique constitue un substitut fiable pour étudier le comportement des électrons dans les états de bord. « C’est une réalisation remarquable d’un beau morceau de physique, et nous pouvons démontrer directement l’importance et la réalité de cette avancée », déclare Fletcher. « Une direction future consiste à introduire davantage d’obstacles et d’interactions dans le système, pour explorer des comportements plus complexes. »
Cette recherche a été financée en partie par la National Science Foundation.